• Chapitre 01 : Un nouveau monde

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    Risia : 

          Je m'appelle Risia, j'ai seize ans. Je n'ai pas de nom de famille, et je ne sais même pas si j'ai une famille. On m'a dit que mes parents étaient décédés à cause de la faim et de la misère, et qu'ils ont supplié mes maîtres de me prendre en tant que nouvelle domestique de ce domaine. Ce sont mes maîtres Mr et Madame JOYEUX qui m'ont donné ce nouveau nom de famille : "POVFIY". Chaque fois que les gens entendent mon nouveau nom, ils se moquent de moi, affirmant que mon nouveau nom de famille me rendait encore plus ridicule et qu'il me qualifiait bien de "pauvre fille". J'ignore pourquoi serait-ce ridicule. Mon seul ami est un patou, noir et blanc, poilu comme un ours, avec de grandes oreilles, nommé Paul. Il est borgne. Il aurait perdu son oeil en protégeant un enfant de deux ans. Parfois, je le vois ouvrir et fermer la gueule à plusieurs reprises. Un petit orphelin m'avait dit qu'on appelait cela un aboiement et que ce n'était pas bon pour la santé. J'aimerais bien l'entendre, même si ce serait mauvais. Je vis dans le grenier du domaine de mes supérieurs, poussièreux et inconfortable, mais je m'y étais habituée. Ce grenier, qui est ma chambre depuis que j'ai été postulée, avait une petit ouverture.

        Tous les matins, quand je me réveillais, je sortais de mon lit en paille et je regardais dehors. Aujourd'hui, je vis le géant jardin du manoir, magnifique et fleuri, mais le ciel était nuageux. En dehors de ce jardin, des monstres, qu'on appelait des véhicules, bougeaient dans tous les recoins de la ville. Des montgolfières, avec des ailes mécaniques, traversaient le ciel, crachant des nuages noires. Les maisons, coiffées de tuiles, étaient serrées entre elles comme dans une boîte de sardines. Et encore plus loin, il y avait la place du marché, c'était tout le temps actif, jusqu'à ce que la lune apparaisse. Derrière ce marché se trouvait une grande forêt qui limitait le territoire entre la ville et un monde inconnu. Elle était sombre, certains arbres étaient violets, personne ne s'y aventurait. On m'avait raconté une légende sur cette forêt : Cet endroit était appelé "La Forêt Maudite". Toute personne qui y entrait ne revenait plus jamais ou était retrouvée morte. On disait qu'il y avait des créatures qui dévoraient toute chair fraîche sans pitié ou que les arbres chantaient une chanson lugubre les soirs de pleine lune. Cette forêt serait le tombeau des êtres sans âme et terrifiants. Un jour, un chevalier, sous les ordres du 1er Prince JOYEUX, partit pour retrouver la fleur de la Lune, un remède qui pourrait rendre immortel. Aujourd'hui, depuis sa disparition soudaine, on pouvait repérer son âme errer tous les mois de Novembre. Je soupirai en pensant à cette légende. Assise sur mon lit, je finis de coudre un mouchoir en dentelle du fils des JOYEUX. Celui-ci avait treize ans, il était brun avec des yeux noisette, et c'était un garçon sage. C'était le seul dans le domaine qui ne m'insultait pas, qui ne méprisait pas ma surdité. Mais il m'avait parlé qu'une fois : « Risia, tu sais qui tu es ? ». Cette question me hantait la tête tous les soirs. Oui, je suis votre domestique. Non, je ne sais pas qui je suis. J'aimerais bien avoir la réponse.

        « Comment fais-tu pour être sourde et nous comprendre ? Surtout être intelligente à ce point-là, pauvre fille. Tu n'as pas le droit d'être comme ça, pourquoi le divin t'a donnée cette faculté et pas nous ? On n'a pas besoin de vous ! Dégage, pauvre fille ! ». Une phrase qu'un vieil homme, employé dans le domaine des Joyeux, m'avait adressée lorsque je m'occupais de la vaisselle une matinée entière. Un autre soir, en secret, la nourrice du Fils Joyeux, m'avait offert un pendentif en forme de croix. « Que l'ange gardien vous protège », m'avait-elle dit. « Vous êtes ma seule héritière ». Le lendemain, j'avais appris qu'on l'avait pendue devant tout le public entier, pour avoir aidé un enfant mis en quarantaine. Je prie qu'elle soit heureuse au l'au-delà.

          Je rangeai la boîte de couture puis me mis sous ma couverture et fermai les yeux. Un après-midi, on me donna une liste. On m'ordonna, par quelques gestes, d'aller acheter des fruits et des légumes. Je sortis du domaine sans broncher, accompagnée de Paul qui me surveillait. Je marchais tranquillement dans la ville, choisissant avec précaution les fruits et les légumes demandés. Tout à coup, un petit garçon roux tira sur l'anse de mon panier. Il rigolait et réussit à prendre mon panier en paille. Je ne me fâchais pas, je restais sur place. Le petit roux aux taches de rousseur et au béret rouge courut dans la foule. Soudain, Paul courut à son tour, la langue pendante et les oreilles en avant. Je criai son nom. Je courus après lui. Je sortis de la place du petit marché ouvert, et me dirigeai en face de la Forêt Maudite. J'hésitais d'y entrer, mais je ne voulais pas perdre Paul. Je l'observai. Les arbres étaient immenses, et semblaient me regarder de haut. Pourtant, cette forêt m'avait l'air complètement inoffensive. Je pénétrai dans la forêt doucement. Je marchai longtemps. C'était une forêt silencieuse, c'était normal, car je n'entendais pas. Je repoussais des feuilles qui me griffaient. Quelque chose passa vivement entre mes pieds que je perdis mes sabots par surprise. Je sursautai. Je cherchai de mes yeux la bête. Je vis des yeux rouges luire. Je paniquai puis me mis à courir, ne sachant pas où j'allais. Les arbres semblaient m'empêcher de courir avec leurs branches en formes de bras ignobles, ils semblaient ricaner entre eux. Puis soudain j'entendis un son. J'ai entendu ! Un son suivit d'un autre son. Une grande joie et inquiétude grandit dans mon cœur. Cela ressemblait à une mélodie, comme on me l'avait décrite bien auparavant. C'est la première fois de ma vie que j'entendais une si belle mélodie. Je suivis le son précipitamment, ne faisant plus attention à qui me tentait de m'arrêter, même si on me coupait la peau.

          J'arrivai dans un vaste endroit éclairé et ralentis mon allure, essayant de reprendre une respiration plus calme à cause de ma gorge sèche. Je sentis de l'herbe sous mes pieds nus, elle était très douce. Je restais bouche bée. J'aperçus des empreintes d'un chien. Je suivis le chemin des yeux. Je croisai le regard d'un homme aux oreilles pointues, aux longs cheveux couleur paille, raides et attachés, aux yeux vert émeraude, au nez pointu et avec une belle peau mâte. Je l'admirai. Le jeune homme était assis sur une grosse roche, avec Paul à ses côtés, qui le regardait, la queue s'agitant dans tous les sens. L'homme étrange, paniqué, rangea son instrument musical dans un grand sac à épaule en peau de bête. Il essaya de fuir. Je lui courus après et tirai sur le col de sa belle chemise verte. Il tomba sur moi en arrière. Il s'agenouilla vite, affolé, et se plaqua contre un grand arbre. Je lui souris en m'excusant. Le gros chien sauta sur l'homme, et lécha son visage à grands coups de langue. Ecoeuré, il repoussa Paul et me demanda d'abord dans une drôle de langue avant de répéter sous ma propre langue :

     « Qui êtes-vous, sale humaine ? Que faîtes-vous ici ?

    — Euh... dés... de t'avoir fait peur... Je veux...

    — Sors d'ici ou tu auras des ennuis à cause de mon père ! »

          Je ne compris pas ce qu'il disait. Il se leva et courut. Je le suivis avec Paul. Il évitait avec souplesse touts les branchages qui se présentaient. On aurait dit qu'il connaissait la forêt par cœur. Je me faisais griffer sans cesse, Paul me dépassait. Je le perdis de vue. Je me pris un pied dans une racine hors de la terre, et je tombai. Je sentis une douleur à la cheville, et la caressa. Mon ami était revenu, haletant plusieurs fois. J'entourai Paul dans mes bras. Plusieurs minutes passèrent. La Forêt commençait à me faire peur. Je regardai autour de moi. Les ténèbres semblaient se dissiper comme par magie. La poitrine de Paul gonflait et se dégonflait à plusieurs reprises et en toute sincérité.
          La créature qui avait disparu réapparut aussitôt, cachée derrière un arbre, toute timide. Cet "homme" fronça les sourcils, et s'approcha lentement de moi à quatre pattes précipitamment, traînant la sacoche derrière lui. Il sépara mon ami de mes bras comme s'il était jaloux. Il prit mon menton et fit tourner violemment mon visage face au sien. Il se pencha, pour m'observer puis posa ses deux mains sur mes oreilles, et ferma les yeux. Je l'observais. Puis il rouvrit ses yeux, émerveillé, et j'entendis une voix dans ma tête : « tu es sans-audition ? ». Je le regardais encore. L'homme ne disait rien. Une voix se répétait encore : « Tu es sourde ? C'est moi qui te parle en face, là. Ou tu ne comprends plus ta langue ? » Je reculai doucement, inquiète. Il me tendit une main tremblante. Je savais qu'il avait peur de moi, il m'affrontait. Moi aussi. J'entendis encore la même voix dans ma tête : « Viens. Tu es dans un sale état. Je vais te soigner. Je t'expliquerai plus tard ». Je me levai. C'était l'homme aux oreilles pointues devant moi qui me parlait. Je refusai de prendre sa main, en prenant une position de défense. Puis quelque chose de pointue entra dans mon flanc. Je criai de douleur.
            La créature qui ressemblait à un humain cria elle aussi. Je m'affalai par terre, l'étrange homme essaya de me parler, me tapotait les joues de ses douces mains. Mon flanc me faisait mal et était mouillé. Je regardai mes mains, elles étaient couvertes de liquide rouge. Ma tête tournait énormément, le paysage bougeait devant moi. Puis je vis les sabots d'un cheval blanc passer à côté de moi. Deux jambes se posèrent. Les bottes étaient en cuir noir. Je vis le jeune homme hurler sur un autre, qui lui ressemblait, mais plus grand, avec de longs cheveux couleur paille et une barbichette. Il semblait même porter une sorte de couronne en branches souples, ornée de feuilles dorées. Je n'ai pu voir son visage. Je posai ma joue droite sur la pelouse, puis fermai mes yeux.

    **

    Risia :

       Une douce main caressa mon front. J'ouvris les yeux. J'aperçus une belle femme aux longs cheveux très clairs, avec des oreilles pointues qui apparaissaient entre ses cheveux raides. Ses grands yeux transparents regardaient les miens, ses lèvres fines et rose remuaient. Elle tourna la tête et fit signe à quelqu'un que je ne voyais pas. Je regardai autour de moi, les murs en pierres étaient gris, sales, le toit en paille. Je me rassis. Le lit n'était pas confortable, la couverture blanche salie par le temps. Cet endroit me rappelait le grenier du domaine où  je dormais. Mes pieds étaient glacés, mes cheveux mêlés. Que s'était-il passé ? Je me rappelai que j'avais rencontré un adolescent étrange dans la forêt que j'avais traversée. Je vis la jeune femme se lever, puis se diriger vers la sortie. Il n'y avait rien dans cette pièce, sauf le lit sur lequel j'étais. La couverture qui me couvrait descendait lentement de ma poitrine. Je constatai que j'étais toute nue. Je rougis et remis la couverture autour de moi jusqu'au cou. Inquiète et me demandant où j'étais, je sortis de mon lit avec la couverture autour de moi. La lumière m'éblouit, je mis ma main pour couvrir mes yeux.

          Quand je fus dehors, un vaste pré s'étendait devant moi, la pelouse verte caressait mes pieds, les fleurs roses des arbres géants, qui se trouvaient à côté de la cabane d'où j'étais sortie, dansaient avec le vent. De la neige qui ne semblait pas fondre décorait légèrement le pré, comme du sucre glacé sur un gâteau. Il faisait froid, pourtant l'herbe restait bien verte. Dans quel monde étais-je ? Tout simplement éloigné de mon domicile ? Un grand bâtiment brillait au soleil à l'horizon. Plusieurs de ses tours étaient bâties sur des roches très hautes, des plantes grimpantes les décoraient. Des drôles d'oiseaux blancs volaient au dessus. Émerveillée par ce spectacle qui s'offrait à moi, je restais bouche bée. Puis en me retournant après avoir admiré ce si beau paysage, je retrouvai la jeune créature humaine qui m'avait réveillée. Elle souriait, et portait dans ses bras ma robe et mes sous-vêtements lavés. Paul jappait autour d'elle. Rassurée, je fis un pas en avant pour récupérer mes vêtements. Le gros chien se précipita vers moi et lécha mes jambes à grands coups. Je le poussais avec mes jambes, dégoûtée, tenant en place la couverture sur mes épaules. Je me relevai et me tenait à remercier la dame pour son hospitalité.

          Tout à coup, la femme s'approcha précipitamment vers moi, jeta les vêtements, me gifla puis me prit les épaules. Elle fit décoller mes pieds du sol, j'entendis une nouvelle voix : « Hors de notre territoire, sale Humaine ! Si tu restes ici, tu seras supprimée ! ». Elle me lâcha sans me quitter du regard. Affolée, je reculai à grands pas, regardant l'humaine aux oreilles pointues qui ne souriait plus. Une lueur de haine brillait dans ses yeux, ses cheveux suivaient le mouvement du vent devenu violent.

    « J'ai perdu mes proches à cause de votre stupidité ! »

          Mon chien Paul s'affola à son tour, et s'enfuit la queue basse parmi les arbres. «Vous avez assassiné ma famille ! Des êtres les plus chers à mes yeux !» .Mes cheveux noirs s'agitaient dans tous les sens, je tenais fort la couverture pour éviter qu'elle ne s'envole. «Je veux que tu vives la souffrance que j'ai !».
           Puis, cette scène s'arrêta. La créature resta immobile, surprise, ses yeux exprimant un regret, et fit une révérence. Je sentis un souffle chaud derrière moi. Une main se posa sur mon épaule gauche et je sursautai. Toujours paniquée, je me retournai vivement, en repoussant violemment la main étrangère. C'était l'adolescent aux oreilles pointues qui se trouvait devant moi : il avait rengainé son épée travaillée d'une manière artistique, et lui lançait un regard sévère. Un groupe de soldats aux casques argentés et avec une armure qui représentait un faucon déployant ses ailes, se trouvait derrière lui. L'étranger aux yeux vert émeraude me regarda, surpris. Puis il rigola, les mains sur le ventre. Les soldats se retenaient de rire. Moi, toute nue, me cachant derrière une couverture sale, les cheveux emmêlés à cause du vent, ne comprenant point ce qui se passait. Qui sont ces créatures qui ressemblent tant à des humains ? Pourquoi est-ce que je suis arrivée ici ? Où est Paul ? Est-il tout seul ?

          Honteuse, je reculai puis me cachai vite derrière un arbre. Je regardai mon flanc gauche, il y avait une cicatrice. Pourtant, j'avais senti une douleur atroce et difficile à supporter, mais lorsque je me suis réveillée, plus rien du tout à part une cicatrice !  Puis je glissai mon dos le long du tronc , jusqu'à que mes fesses touchent le sol glacé. J'étais épuisée. L'étranger réapparut. Il me regardait un moment, semblant réfléchir sur un choix difficile. Puis il me tendit sa main avec prudence. J'observais longuement sa main, il ne broncha pas. « Ne t'inquiète pas, je suis là. Je vais t'aider si tu as besoin. » Peut-être avait-il pitié de moi ? Je posai ma main droite sur la sienne. Après un long moment silencieux, je lui lançai un regard de remerciement, rassurée. J'étais contente que quelqu'un fasse attention à moi. Tellement heureuse, de nombreux sentiments parcoururent mon cœur : joie, tristesse, haine, perdue... Je croyais que mon cœur allait exploser. A peine debout, mes jambes s'engourdissent, ma tête tourna violemment, je sentis mon cœur s'arrêter et je m'évanouis.

    **

    Risia : 

         Un pas en avant, un autre en avant. Une patte en avant, une autre en avant. J'étais perdue. Il était perdu aussi. Je me retrouvais, après avoir touché la main du jeune garçon aux oreilles pointues, dans une grande pièce vide, blanche et sans murs. Je portais une longue robe blanche en dentelles, j'étais pieds nus et mes cheveux étaient longs et ondulés, j'étais toute propre. On pouvait voir mon corps à travers la dentelle. J'étais soignée comme une princesse, et cela me mettait mal à l'aise. Paul frottait le "sol" avec sa patte gauche sans arrêt. Moi, je restais sur place, m'agenouillant en face de mon ami, observant ses gestes et ses sens en alerte. Le silence dans cette "pièce" était lourd. Puis je m'assis, balançant mes jambes blanches devant moi. Des perles de lumière dansaient autour de moi. Je caressai mes jambes lisses et glaciales. Je touchai ma tête, elle était glaciale aussi. Seuls les morts avaient une tête froide. Peut-être en faisais-je maintenant partie ? Une personne apparut doucement devant moi tel un fantôme. Une grande femme âgée, aux ailes semblables à celles d'une colombe, se trouvait alors devant moi. Ses cheveux dorés touchaient presque le "sol", sa robe blanche et plissée flottait.

          Je regardais ses yeux sans couleur. Elle me tendit la main. Paul leva la tête, et vit l'Ange. Une créature semblable à une humaine, comme racontaient souvent des légendes oubliées, selon un professeur du fils des Joyeux. Mon chien s'assit, remuant faiblement la queue, sans la quitter des yeux. L'Ange insista en secouant légèrement sa main. J'étais méfiante. Que souhaitait-elle ? M'emmener au paradis ? Je pris la croix en bois autour de mon cou, le seul objet en possession. Je repensais à la nourrice qui m'avait élevée. Je n'ai jamais su si elle m'aimait vraiment. Depuis sa pendaison, j'étais devenue comme une poupée mécanique qu'on pouvait trouver dans des magasins des grands artisans. Je ne voulais pas que quelqu'un ait pitié de moi à nouveau. J'ai chassé mes propres sentiments, je les ai enfouies au fond de moi. J'avais décidé d'être seule, j'apparaissais comme un fardeau pour les autres. Mais je l'étais déjà, même si Paul était avec moi. Je tournais sagement ma tête, refusant la main de secours de l'Ange. Personne ne m'aimait, personne ne m'avait aimée, personne ne m'aimera encore. Et je ne veux que personne ait pitié de moi. J'enlaçai mes jambes et posait ma tête sur les genoux. Je crois que je ferais mieux de disparaître. Même si Paul était triste. Même si mon seul ami était triste. Il ferait mieux de m'oublier. Les autres aussi feraient mieux de m'oublier au lieu de passer leur temps à se moquer de moi. On voulait que je disparaisse parce que j'étais sourde. Alors, je le ferai. J'en avais assez d'exister. J'en avais assez d'être la cible des moqueries des autres. Je me haïssais moi-même. Je haïssais les autres. Je haïssais mes parents décédés. Je haïrai le créateur du Monde. Pourquoi n'entendais-je rien ? Je ne saurai pas parler.
    « Ecoute, tu peux m'entendre, me dit l'Ange.

     — Laissez... tranquille ! Moi ! criai-je.

     — Il y aura toujours quelqu'un pour être à tes côtés... continua l'Ange, avec une voix claironnante.

    — Vous êtes aussi sourde que moi ou quoi ? Paul l'était déjà, je ne veux personne d'autre !, m'exclamai-je, sans hésiter sur mes paroles.

    — Même si tu refuses, l'espoir reviendra. Même si tu le rejettes, l'espoir reviendra encore et encore...S'il n'y a plus espoir, la lutte reste encore une lueur d'espoir. »

          Je restais bouche bée. Je ne savais plus quoi ajouter. Je reculais avec colère, injuriant le soi-disant Ange. Si les Anges, comme disaient les légendes, étaient des êtres qui créaient des miracles aux Humains, je ne serais jamais là. Paul avança vers moi qui étais assise par terre, puis posa son museau sur ma joue. « Ta vie n'est pas terminée », disait une voix grave. Tout à coup, je me sentis aspirée en arrière. Je tendis ma main droite vers l'Ange, criant à l'aide. Celui-ci ne réagissait pas. Je regrettai finalement d'avoir refusé son aide. Paul disparut sous forme de poussière. On aurait dit une poussière d'étoile. Cette poussière pénétra en moi. Mais je n'avais pas eu le temps de connaître la suite. Je me trouvais dans un endroit plein d'eau glacée.  Je n'arrivais plus à respirer. Paniquée, j'essayais d'atteindre la surface. Mes poumons étaient en feu. Puis, mes mains touchèrent la surface, mais elle était gelée. Je tapais de toutes mes forces la glace qui me bloquait la sortie. Mes poumons me faisaient mal, quand soudain, la glace se brisa, une main robuste et poilue me prit par les cheveux. Je faillis crier.

          Sauvée, cette force inconnue me lâcha sur le sol glacé, me laissant le temps de reprendre ma respiration. Je relevai ma tête, ma mèche noire entre mes yeux, et je vis... Un mi-homme, mi-taureau. Un géant homme-taureau aux cornes pointant vers le ciel ! Pétrifiée sur place, j'attendais qu'il me fasse quelque chose de mal. Mais au contraire. Il fouilla dans son sac à dos puis me tendit une boisson chaude. Je pris vivement le verre qui réchauffa vite mes mains, sans quitter l'étranger des yeux. Il mit un gros manteau en fourrure beige sur moi. Ses cheveux bouclés bruns étaient humides, ses lèvres remuaient. Il me disait quelque chose, mais je n'entendais pas, comme toujours. Ses yeux étaient de couleur noisette, il ne portait aucun vêtement, à part des jambières et un short métallique. Il était poilu comme un ours. Je vis ses sourcils se froncer, puis il me transporta sur son épaule gauche, ma boisson chaude se renversa. Je me débattis : « Je ne suis pas un objet ! ». Je me rendis compte que j'ai parlé sans hésiter. Je plaquai mes mains sur la bouche, très surprise. Il continuait sa marche, ses gros sabots tapaient violemment la glace sans la briser. Je me calmais, fatiguée, puis observais le paysage. Le monde était tout blanc, le ciel bleu, l'air glacial. Je n'avais jamais vu un tel paysage ! Je vis des sapins couverts de "coton blanc". Comme le professeur me l'avait décrit, ce "coton blanc" était bien de la neige. De la neige pure et blanche... comme ma peau. Le ciel était bleu comme mes yeux. Le tronc des étranges sapins noirs comme mes cheveux. Pourquoi ce sont les mêmes couleurs que moi ?

          Puis je sentis mes pieds nus atteindre le sol. La douleur que je m'étais faite à la cheville était déjà partie. Je me trouvais devant une grotte. L'étranger qui m'avait transportée me donna une lettre : 

    «Chère Risia. Viens chez moi, je t'attends. Je voudrais te faire découvrir notre Monde duquel tu fais maintenant partie. Le "Troisième Monde".  Signé S.»

          L'étranger partit, traînant un drôle de traîneau, rempli de boîtes, qu'il avait récupéré devant la grotte. Il me fit penser tout à coup au Père Noël, une idole en rouge et blanc, qui ne faisait que manger des cookies, que tout le monde adore. Moi, je le détestais, il ne m'apportais aucun cadeau, même je restais sage.

     « Hé, où vas-tu ? lui criai-je.

           Il se retourna et me répondit :

     — Je ne sais pas. Je ne sais rien. Je fais juste ce qu'on me demande. Je suis sage. Je suis seul, je suis désormais mercenaire. J'ai respecté la volonté d'un vieil ami, tout simplement. Tu me sembles fragile. Sauras-tu t'en sortir seule ? C'est la première fois que je vois un humain égaré par ici. Ah. Non. Enfin je ne sais plus. J'ai vécu bien trop longtemps.

          Il y eut un moment de silence.

    ─ Tu es devant chez lui, maintenant. »

           Puis je me retins à nouveau de crier, surprise. J'avais compris ce qu'il disait ! Non, j'avais plutôt deviné par son comportement et la liaison de ses lèvres. Je n'ai compris aucune parole. Je l'observais de haut en bas, curieuse de son identité. Il partit. « A... Attends ! », murmurai-je. Il laisse derrière lui les traces de son traîneau. J'observai la sombre entrée de la grotte. Je regardai autour de moi et profitait de relever la robe abîmée. Je portais une culotte qui allait jusqu'au mi-cuisse. Je regardai le flanc. La cicatrice était toujours là.
          J'arrangeai mes vêtements puis me dirigeai vers la drôle de grotte. Je vis un écureuil blanc passer devant moi. Celui-ci s'arrêta longuement, m'observant de haut en bas. Je le trouvais mignon. Tout à coup, l'animal grimpa sur moi, j'essayai de le chasser, et j'entendis dans ma tête : « Ne t'approche pas de lui !! S'il te plaît, Humaine, même si on ne t'aime plus, ne crois pas que ce démon pourra t'aider ! Il te veut ! » L'écureuil était sur mon épaule, ses deux petites pattes avant étaient sur ma tête. Puis je le pris par le cou. Maintenu en l'air, l'écureuil ne bougeait plus. Je m'affolai. Il ne respirait plus. Son cœur ne battait plus. Je le lançai de l'autre côté, puis courus, me demandant ce qui se passait.
          Que se passait-il ? Je ne comprenais plus rien ! Je me déplaçais si vite d'un endroit à l'autre, les saisons changent vite. A  moins que ce monde ait la nature qui fonctionne différemment que chez moi...Une nouvelle créature apparut, je la reconnue : le jeune homme aux oreilles pointues que j'ai rencontrée, et à la belle chemise verte, qui voulait m'aider. L'homme en vert. Mais là, il tendit une flèche bien aiguisée mise sur un arc doré tendu au maximum. Il la pointait vers moi. 

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