• Chapitre 02 : Aldaron, Prince des arbres

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    Docteur Stein: 

           Vite, on me recherche ! Cet homme si aimable, si généreux et si riche, pourquoi me voulait-il ? J'avais juste dit la vérité sur sa fille ! Cela faisait déjà bientôt quatorze années depuis la disparition de leur fille. Mais il y a deux années, j'ai découvert qu'elle était encore vivante en tant que domestique... de sa propre famille. Qui l'a sauvée de sa soi-disant disparition ? J'aimais pourvoir venir en aide à mes patients malades. Les voir heureux me rend heureux. Mais cet homme ne fut pas satisfait de sa jolie petite fille brune. Pourquoi, pourquoi ?

           Assis dans un coin sombre, j'approchai mes jambes près de mon front et les entourai de mes bras qui tremblaient comme une feuille. Ma blouse blanche me glaçait. Toutes les lumières de mon cabinet étaient éteintes. Tous les médicaments étaient rangés soigneusement dans un placard fermé à clé. Mes lunettes étaient rayées. La seule source de lumière provenait de sous la porte. Des ombres précipitées indiquaient des pas de soldats pressés de terminer leur mission. Le but de leur mission : retrouver le Dr Stein avant qu'il ne s'échappe. Et le docteur Stein, c'était moi. On voulait me trouver vivant... ou mort.

           Je sentis la serrure de la porte tourner. Je m'affolai et me cachai derrière le bureau. Tout à coup, la porte s'ouvrit violemment, arrachée du mur et mise à terre, à moitié brisée. Un soldat portant une belle armure sombre et une marque de l'Empire sur son casque à cornes, qui avait une forme d'une tête de lion noir aux yeux rouges, s'avança lentement. Ses pas sonnaient creux. Sa cape aussi noire que son armure suivait ses mouvements. Un capitaine de l'Empire Perdu. Cet Empire est horrible. Pas autant que leur Empereur.

           Les pas s'approchaient de plus en plus du bureau. Je retenais calmement ma respiration. Je ne bougeais plus, je fixais mes pieds collés au sol. Soudain un choc retentit sur la surface du bureau. Je sursautai, retenant toujours ma respiration, mon cri... ma transpiration. Les pas contournèrent le bureau. Je vis les deux grosses jambes noires à pics et boueuses. Il y eut un moment de silence. Je ne bougeais plus, j'avais des fourmis dans les jambes. Mon petit annulaire bougea sans que je lui demande. Une scène inattendue et effrayante s'offrit à moi : le bureau s'envola dans les airs, un cri rauque sonna dans la pièce, on entendit un verre se briser, des stylos tomber par terre. Je regardai le capitaine : il avait enlevé son casque, il n'avait pas de cheveux, sa tête était comme une boule de fumée noirâtre, son visage affichait un visage... de mort. Je criai, je me levai précipitamment, manquant tomber dangereusement près des éclats de verre. Dès que je fus sorti de la pièce, trois lances couvertes de sang noir pointaient vers moi. Trois soldats monstrueux comme des momies tenaient ces grands bâtons pointus. Je vis Monsieur Joyeux, derrière eux, jouant avec sa petite moustache. Je suis perdu. C'est un monstre !

           Un des soldats lança vivement la lance vers moi, je l'évitai de justesse, et grâce à un sort que j'avais appris en secret, je le repoussai de ma main gauche en formulant un sortilège : "Catharsis !". Du feu vert envahit la victime, les deux autres soldats s'éloignèrent, hésitant à m'attaquer ou à observer la scène. Je sentis une lame se poser sur ma gorge. Je cessai de bouger. Une goutte de sueur coula sur mon front.

    « Jamais on aurait cru voir un pauvre médecin apprendre ce sort dans ce monde..., souffla la voix rauque du capitaine.

    — Je ne suis pas né ici, répondis-je.

    — Tu n'es pas humain ?

    Monsieur fit les gros yeux devant moi, souriant : 

    — Oh, jamais je n'aurais pensé qu'une créature magique survivrait dans ce minable monde des Humains !

    — Je suis un mi-elfe » , murmurais-je.

           Assez d'attendre plus longtemps, je pris violemment le bras tendu du capitaine et le mit avec toutes mes forces par terre. Le choc fut si violent que le casque fut brisée. Je repoussai Monsieur, surpris, et me mis à courir, longeant les couloirs. Les soldats se mirent à ma trousse.

    ** 

    Risia : 

           Je sentis la flèche frôler ma joue gauche et traverser mes cheveux. Ma joue picotait, je la touchai avec l'index et je vis une perle de sang rouge vif. J'étais muette de surprise. Je me retournai et je vis quelqu'un. Un grand homme à la peau aussi blanche que la neige et aux cheveux noirs bouclés se tenait devant moi. Il portait une grosse cape rouge trouée qui semblait flamber. Son nez pointu était plissé, ses mains étaient sur son œil droit. Du liquide noir apparaissait petit à petit sur ses mains. Je sentis très fort des vibrations de paroles dans mes oreilles et je compris que cet homme disait : "Comment oses-tu me faire ça, petit !" Je reculai. Faisant penser à un démon humain, il recula à son tour. "Et toi, petite brune, tu n'auras pas ta deuxième chance ! Tu seras à moi !". Puis il se volatisa. Je me demandai si j'étais en plein cauchemar. L'homme en vert arriva à côté de moi, sans quitter des yeux l'endroit où le démon avait disparu. J'essayai de parler :

     « C'est... C'est qui ?

    — Sédah. Le plus puissant des démons, me répondit-il par la pensée.

    — C'est... quoi... cette histoire...d...de...fous ?!  », m'exclamai-je, en écartant les bras et faisant beaucoup d'efforts pour bouger mes lèvres gelées et frottant mes pieds gelés pour les réchauffer.

            Puis je me rendis compte que l'homme n'avait plus son apparence d'adolescent. Il était désormais un jeune adulte, prêt pour une longue aventure. Je le regardais, surprise et la bouche grande ouverte. Était-ce la même personne ou un de ses proches ? Paniquée, je cherchai la croix en bois autour de mon cou. Elle avait disparu. Idiote. Je ne suis qu'une idiote. Risia, tu es juste dans un cauchemar. C'est tout. Réveille-toi ! Tu n'as jamais su parler aussi bien. Depuis que je suis entrée dans cette forêt, j'ai l'impression d'avoir quitté ma vie après avoir touché la main de l'homme. J'ai l'impression d'être devenue une deuxième Moi, plus courageuse et plus intelligente. Dans la vie de tous les jours, on me maltraitait, on ne me soignait pas, j'ai été mourante à l'âge de mes dix ans. Ce jeune homme en vert n'existait pas. Puis, après avoir été convaincue d'être dans un mauvais rêve ou une mauvaise plaisanterie, je me tournai, traînant la grosse veste en fourrure qui frôlait le sol enneigé, ignorant la présence de l'homme aux oreilles pointues. Tout à coup, j'entendis une mélodie. Je me retournai, il avait sorti son mystérieux instrument musical. Je fronçai les sourcils. J'ai pu confirmer que c'était bien et bel le même garçon de la forêt maudite, sinon il n'aurait pas sorti son instrument musical. Je lui dis de me laisser tranquille. Mais cela me parut bien bizarre qu'il ait changé aussi vite de corpulence. Il sourit sans me quitter des yeux. Je rougis doucement et regardai le sol. Mon cœur  battait vite. Je me rendis compte que cela faisait si longtemps que je n'ai pas ressentie ces sentiments. Il se précipita vers moi en rangeant son instrument dans sa sacoche à épaule. Il se promena à côté de moi et se pencha plusieurs fois pour regarder mon visage en me taquinant. J'étais en train de gonfler mes joues pour exprimer mon mécontentement, je cachai mon visage dans ma veste. J'arrêtai la marche. Il fit de même. Il me tendit la main. J'observai sa main : presque métissée, qui semblait douce. J'hésitai de la serrer quand il se retourna et me salut pour partir dans une autre direction. Il semblait se dire que cela ne servait à rien de rester avec moi. Je le regardai longuement : "Enfin, il est parti cette colle." Mais... j'appréciai sa compagnie.

            Après quelques pas, je me rendis compte que je ne savais pas où j'allais. Je cherchais des yeux le faux adolescent aux oreilles pointues, ensuite le mi-taureau, puis, je vis, dans ce vaste désert de glace, un petit écureuil blanc. Incroyable, pourquoi l'ai-je aperçu si facilement ?! Il s'approcha de moi en marchant sur les deux pattes arrière comme ferait un humain. Il fit une révérence. Je m'inquiétais : "Je croyais que tu étais mort toi, hein...". Je vis sur sa tête un sourire sadique. Effrayée par ce tout petit animal, je courus en suivant les traces de pas laissés par l'homme en vert. Quelques minutes plus tard, essoufflée, je l'aperçus agenouillé. Je m'approchai de lui. Il dessinait avec un bout de bois mort sur la neige. Il tourna la tête vers moi, me dit bonjour à nouveau. "J'étais sûr que tu ne voudrais pas être seule. Tu as changé d'avis ?". J'acquiesçais. Je lui répondit que j'avais peur de me perdre. "Ne t'inquiète pas, je connais mon chemin", entendis-je dans ma tête. Il me demanda de participer avec lui. J'observais son dessin. Il représentait un gigantesque château avec des drôles d'oiseaux qui volaient autour. "Viens, ne sois pas seule.", me disait-il. Il se leva, je fis à mon tour la même chose. Il jeta le bout de bois. Je me souvins du château qui brillait au bord d'une colline, après mon réveil dans un gîte. Je lui demandais pourquoi était-il aussi familier avec moi, alors qu'on se connaissait à peine. Il me regarda droit dans les yeux, puis répondit :

    « C'est parce que tu as disparu pendant plusieurs années. Puis, tout à coup, tu reviens. Je suis juste curieux à ton sujet. Je pourrai mieux t'observer si tu restes avec moi.

    — Plusieurs années ? m'exclamai-je, en le regardant bouche ouverte.

    — Oui. A moins que tu sois une réincarnation, mais puisque tu me connais... Je sens que tu es différente, et quelque chose se produira avec toi. Je me demande ce que c'est, articula-t-il, soudainement devenu indifférent et méfiant.

        Il s'approcha de moi, et refit la même scène que la dernière fois : il prit mon menton violemment et commença à m'observer tout autour. Il prit une mèche de mes cheveux et les caressa. On aurait dit qu'il voulait s'assurer que j'étais bien être vivant comme lui. Il arrêta ce comportement.

          Il se mit à marcher très vite. Je le rattrapai : 

    — Comment le sais-tu ?

    — J'ai rencontré une femme belle comme une déesse, elle m'avait dit que dans ses visions, elle avait vu une jeune adolescente brune avec une robe en dentelle, en plein milieu du désert blanc. Et que je devrais me lier avec toi. Je ne fais qu'aider une guerrière qui est à ta recherche, tu dois donc être une...

    — Je ne comprends rien, m'énervais-je.

       Je me retournai, boudant. Puis j'inspirai, décidant de changer de sujet, et aspirant à découvrir ce nouveau monde dans lequel je suis tombée comme par magie.

    — Où... où as-tu trouvé ce bâton ?

        Il m'observa longtemps et comprit que je ne voulais pas qu'il me donne plus d'explications. Il soupira.

    — Ah, ça ? Nulle part...».

           Je souris. Il tira sur la manche de mon manteau. Il marcha devant moi, je m'amusai à mettre un pied dans chaque pas laissé sur la neige. J'ai pris confiance en lui, et j'espérai ne pas le regretter. J'espérai qu'il deviendra un ami. Un espoir est revenu en moi, alors qu'il avait disparu depuis si longtemps.

    **

    Risia : 

           « J'ai froid aux pieds, ils commencent à me faire mal... en plus j'ai perdu mes sabots », pensais-je. Toujours dans ce grand paysage tout blanc, je me demandai quand est-ce qu'on arrivait dans le pays de ce jeune homme en vert. Il se retourna, je m'arrêtai brusquement. Il regarda mes pieds, fouilla dans sa sacoche désespérément et lorsqu'il trouva du tissu, il le déchira en deux avec un couteau. Il me donna les morceaux que je finis par enrouler autour de mes pieds. Je le vis tendre ses oreilles pointues.

     « Qui est avec toi ?, me demanda-t-il.

    — Q...Quoi ? Toi seulement...

    — Je sens une troisième présence. »

            Il regarda autour de lui, la main sur son arc qui était sur son dos. Il me repoussa et se mit devant moi. Je regardai à mon tour autour de moi. Il n'y avait personne à part  lui et moi. Je le regardai en fronçant les sourcils. "C'est peut-être l'écureuil de tout à l'heure et..."

     « Mais il y a quelqu'un qui nous suit là ! s'exclama-t-il, me coupant la parole, sortant ses flèches de sa sacoche et préparant son arc. Tu me comprends ? Il y a quelqu'un.

    — J'entends rien mais je te comprends, c'est bizarre.

    — Ah ? Moi je ne te comprends pas ! », rigola l'homme aux oreilles pointues.

            Il resta immobile. Ses grandes oreilles pointues bougèrent légèrement. Le faible vent souffla dans ses cheveux. Puis il mit doucement une flèche sur le fil et tendit petit à petit l'arc. Il était droit. Je tenais fermement mon gros manteau en fourrure. Je pris une position de défense. Je reculai. « Ne bouge pas », dit-il par la pensée. Je ne bougeai plus. Inquiète, je me demandai combien de temps je resterais dans ce vaste monde inconnu, emprisonnée par un froid mordant mes joues. Puis l'homme en vert baissa son arc et pencha la tête d'un côté, curieux. « Ca doit être Eöl, ce petit chenapan. Je croyais qu'il était parti de son côté.» Je me demandais de qui il parlait. Il remua ses lèvres : 

    « La dernière fois que tu étais venue, c'était dans la clairière qui est à 100 pas d'ici, commença-t-il en pointant une direction avec sa flèche.
    Pendant le printemps. Avec ton chien. Puis, quelques années après, je t'ai vue, ignorant si ce soit une illusion ou pas, sur un champ de bataille, lorsque j'étais mourant. Tu n'as pas changée.

    — Un champ de bataille, qu'est-ce que c'est ?! Mais il fait froid là...Et tout à l'heure...

    — On est en fin de l'Hiver. Et comment se fait-il que tu sois dans Le Désert Blanc, avec encore ce corps d'enfant ?

    — Tu as vu Paul ?, ignorai-je ses questions.

    — Qui est-il ?

    — Mon.. ami.

    — Le chien à la voix grave ?

    — Les... les animaux ne parlent pas ! 

    — Désolé.

    — Euh... Par... Don ? 

    — Je veux des détails, étrangère ! Je viens de me rendre compte que je t'avais déjà réellement vue ! Ce n'était pas une illusion ! Tu avais disparue, on a cru que tu étais rentrée chez toi depuis presque de 200AE ! Et depuis que je t'ai rencontrée, une ère glacière est venue s'installer dans notre monde !, me gronda-t-il.

    — Mais, c'était ...seule...ment un jour... que je me suis absentée... J'ai croisé un ange... Paul... S'est transformé en poussière...»

           Je commençai à pleurer, me demandant où j'étais, pourquoi j'étais ici et me souvenant pas  très bien d'avoir été chez cet homme. Celui-ci soupira, s'approcha de moi et tapota sa main droite sur mon épaule.

    « Désolé l'Humaine. Ici, on n'aime pas les humains à part moi. On ne les croit jamais. D'ailleurs, on ne m'aime pas beaucoup ici non plus. Je vais rester un moment avec toi, on voit que tu ne sais pas où tu es.

    — Merci...

    — Je pense que tu es l’Élue que Mélodie te recherche. Si tu gardes encore cette apparence, c'est qu'il y a une raison. »

           Je continuai à pleurer en silence. Je le regardai. Je vis que j'ai ignoré involontairement ses paroles. Il serra les lèvres et se força de sourire. Il prit un bout de bois mort dans sa sacoche et commença à dessiner dans la neige. Je l'observais, essuyant les larmes sur mes chaudes joues. Je me penchai pour identifier le dessin, mais il ne ressemblait à rien. Il tourna la tête vers moi, gonflant ses joues, mécontent. « Et dire que je voulais te montrer mon si beau palais ».

    « C'est le palais ?

    — Non, du gribouillage. Allez, en route.»

           Il se releva, se grattant la tête. « Zut, ça fait deux mois que je me suis perdu...» me regarda-t-il avec un sourire gêné. Je ne répondis pas.

    « Quel âge as-tu ? me demanda-t-il par la pensée.

    — 16...

    — Tu me parais 19 ans. Etant donnée que plusieurs années sont passés...

    — J'ai donc quel âge ?

    — 219 AE ? Sinon, choisis. Tu sais, la guerrière qui te recherche en ce moment, elle n'a jamais su son âge. Elle est comme toi, elle ne change pas. On lui a donc donné ses 35 AE, qu'elle compte petit à petit. Bon, moi aussi j'ai vécu ça...

    — Alors je choisis 19, coupai-je

    — Vraiment ? Moi j'ai...»

         Je me rendais compte qu'il affirmai d'avoir vécu comme la femme nommée Mélodie. Peut-être avait-il trouver le moyen de vieillir ? Je trouvais bizarre. Je regardai le ciel, yeux gonflés, fatiguée. Je vis un géant oiseau noir. Il fonçait vers nous. Je criai.

    **

    Docteur  Stein :

           Je courus longtemps jusqu'à épuisement. Ces fichues ordures de l'Empire Perdu me prennent pour un pigeon. De la glace apparaissait sur mes lunettes de verre. J'arrachai ma paire de verre de mon visage et la jetai sur la neige. J'ai traversé la forêt maudite prisonnière du froid. Je suis enfin entré dans le Désert de Glace. D'après mes recherches, je devais retrouver la jeune fille ici. Mais ces ordures m'empêchaient et me fatiguaient. Surtout Monsieur.

            Je continuai la course bien que mes jambes refusaient de courir. Mon corps se balançait de gauche à droite, puis je tombai par terre. Je posai ma joue droite sur le sol glacé. Quelques minutes après, je sentis des énormes bras poilus tirer mes jambes. Je me retournai vivement, paniqué, et je croisai un minotaure. Je croyais que les minotaures avaient disparu depuis des siècles ! Ses longs cheveux bouclés et bruns étaient humides, sa peau rougeâtre était clair, il respirait difficilement. Il me traînait sur la neige comme un cadavre. Dégoûté par cette pensée, je me débattis et j'abandonnai à cause de la fatigue, me laissant emporter par ce minotaure aux grandes cornes. Il me posa sur un traîneau.

    « Bon retour parmi nous, murmurait ce minotaure.

       Je levai ma tête, fronçant les sourcils. Ne tournant toujours pas sa tête vers moi et me traînant sans broncher, il ajouta : 

    — Tu ne me reconnais pas ?

    — Aeglos...?

    — Exact. Disons... ça fait au moins 300AE qu'on ne s'est pas vu.

    — Je serais déjà mort.

    — N'oublie pas que tu es un demi-elfe.

    — Ah, c'est vrai. J'ai parfois du mal à savoir qui je suis.

       Il leva un regard enjoué vers moi : 

    — Vous n'avez pas changé !

        Je souris et j'ajoutai : 

    — Vous me semblez bien inquiet.»

          Il ne réagit pas à ma formulation. Pensant que c'est un problème de relations entre proches ou le chagrin d'un décès d'une personne, je ne dis plus rien et laissais le minotaure  tirer le traîneau sur lequel je m'endormis. Je pourrai enfin me reposer sous l'aile de ce fort guerrier avant de reprendre ma course.

    **

    Risia : 

            Une brise glaciale me chatouillait les joues. J'ouvris légèrement mes lourdes paupières.  Il faisait  presque nuit. Je voyais le paysage défiler sous mes yeux. La neige au sol défilait sous moi. Une peur monta en moi. Je sentis soudainement une douleur au dos. Je retins mon cri. Je me retournai légèrement vers le haut, et je vis des serres autour de moi. Une grande ombre planait au dessus de moi. C'était un aigle géant qui avait foncé sur nous quelques instants plus tôt. La tête de l'oiseau noir s'agitait dans tous les sens, ses yeux rouges  guettaient le moindre danger. Inquiète, je cherchai l'homme en vert. Je le trouvai à côté de moi, dans une autre serre. Il était immobile, sa sacoche, ses bras et ses jambes pendaient dans le vide. Une mèche de cheveux était tachée de sang. Je l'appelai plusieurs fois, mais en vain. Il ne répondait pas.

          Je plissai les yeux pour apercevoir quelque chose dans le paysage. Mais il n'y avait rien, seulement de la neige et quelques sapins bleus. J'attendais longtemps l'atterrissage, mais il ne se passait rien. Plus tard, je commençais à avoir sommeil. Mais, à peine plongée dans mon sommeil, une lumière jaillissante toucha l'aile gauche de l'aigle. Celui-ci poussa un cri féroce et ouvrit ses serres. Je tombai. Je tournai plusieurs fois sur moi-même, ma peur remontait à une vitesse incroyable jusqu'à même me faire pleurer. Je vis que la créature aux oreilles pointues était toujours inconsciente, tombant comme un bâton. J'aperçus ensuite un grand étang noir. J'essayai de m'approcher de la créature puis je la serrai contre moi, priant qu'il nous arrive rien.

            Nous atterisâmes. Nous plongeâmes dans le liquide noir qui ralentit notre chute. Dans le liquide puant, je me débattais de toutes mes forces, tirant l'homme. Le liquide était comme de la colle. Soulagée d'être saine et sauve, je sortis ma tête hors du liquide gluant, avec l'homme en vert dans mes bras. Je le tirai jusqu'à atteindre le bord. Ma robe en dentelles devenait lourde, tachée de noir, mes cheveux devenaient gras. Lorsque nous fûmes arrivés au bord de l'étang, je soufflai puis je me mis à rire. J'avais réussi à m'échapper du danger. Je serrai l'homme inconscient contre moi qui était toujours en train de rire. Je n'avais jamais aussi eu peur de ma vie ! Tout à coup, un vent violent arriva, je levai la tête et je vis l'aigle géant tomber à son tour. Il plongea dans l'étang noir, le liquide volait tout autour de lui.  Je mis mon bras devant mon visage pour éviter ce fluide. L'oiseau se débattait, essayant de se décoller de cette espèce gluante. J'observais longtemps cette scène, jusqu'à ce qu'il ne bouge plus. Une grosse plume noire et marron planait et atterrit devant moi. Je la pris.  En touchant cette plume, une petite voix grave en moi me dit : « Sois courageuse. Vis. Bats-toi pour ta vie.» Je frottai mes yeux et regardai l'homme, pensant qu'il me parlait. Mais il semblait dormir. J'aperçu son sac. J'ouvris la sacoche de l'homme puis je rangeai la plume dedans, comme un trophée. Je me levai. Je pris de toute mes forces la créature afin de la transporter sur mon dos. Je fis quelques pas difficiles. Je regardai vers le haut. Une étoile brillait fort parmi les autres dans ce ciel noir. Je m'avançai vers elle, espérant trouver un endroit hospitalier dans ce vaste désert blanc.

           Je marchais longtemps, mes membres tremblaient. J'avais froid, j'avais faim, j'étais fatiguée, je me sentais sale. J'arrivai devant une pancarte éclairée affichant une direction vers la droite. Je l'examinai. Un seul mot était affiché : Repos. Je regardai autour de moi, cherchant un gîte. Mais il n'y avait toujours que de la neige. Je sentis la créature bouger doucement sur mon dos. Je l'allongeai. Elle ouvrit les yeux. Elle tourna sa tête vers moi. Je souris, contente de la voir bouger. Elle posa ses coudes sur le sol blanc et s'assit. « Toi ?», disait l'homme. Je hochai la tête. Il se leva faiblement, je pris son bras pour l'aider. Bien droit, il laissa son visage s'exposer au vent glacial. Ses cheveux attachés bougeaient lentement de haut en bas. Je tenais toujours son bras, de peur qu'il tombe. J'observai son visage et admirai ses traits. Il tourna les yeux couleur émeraude vers moi. Je sursautai et me mis à regarder ailleurs, le cœur battant la chamade. Il se tourna ensuite vers la pancarte, je suivis son mouvement précipitamment. « Repos ?», s'exclama-t-il. Ses yeux s'écarquillèrent, il afficha un large sourire de joie. Il sauta et leva son poing droit en l'air, criant la victoire. Il se positionna devant moi, mit rapidement ses mains sur mes épaules et me secoua mollement : « Merci, merci ! Sans toi, je ne serais jamais arrivé ici !». Il commença à pleurer, ramassant sa mèche tachée de sang en arrière. Il ouvrit son sac, puis arrêta de s'exciter. Il sortit la plume noire, surpris. «Mais oui, c'est vrai, le serviteur de l'Empire perdu... Comment ai-je pu l'oublier ?». Puis il la rangea et me regarda.

    « Risia, comment avons-nous atterri ? me demanda-t-il.

    ─ Euh... Dans de l'eau noire. Une lumière a... frappé... lui répondis-je.

    — De l'eau noire ? Mais ce n'est pas de l'eau, c'est... murmura l'homme.

    — C'est ?

    — C'est... Non. Je te raconterai ça un autre jour, répliqua-t-il, avec un visage dégoûté. Je ne veux pas t'inquiéter.

    — Oui...

    — La lumière ? Tu... dis bien LA lumière ?

    — Ou... oui !

         Il semblait plonger dans de longues réflexion avant de me regarder à nouveau. Il soupira.

    — Bienvenue dans notre monde. Je pense que tu n'es pas d'ici. Pour te remercier de m'avoir sauvée, je t'offre une chambre.

    — Je... je n'ai rien fait !... secouai-je mes bras.

    — Tu es peut-être mon ange gardien ! rigola-t-il.

        Je ne compris pas la blague. Il toussa, gêné, puis s'étira.

    — Donc, Humaine, comment t'appelles-tu ? Moi, mon nom c'est Aldaron, dit-il en posant ses mains sur les hanches. Il signifie "seigneur des arbres", et je suis fier d'avoir ce prénom ! »

           Il tendit sa main vers moi, enchanté. Je souriais, contente d'avoir un nouvel ami. Je serrai sa main et il me sourit.

    **

    Docteur Stein :    

           Grâce à ma vieille montre, j'ai pu constater que cela faisait deux heures que j'étais dans cet état. Puis, tout à coup, la bête me lâcha. Je vis une pancarte à côté de moi, qui affichait le mot "repos" vers la droite. Je regardais, émerveillé par la générosité de cet "homme". Je pris ses mains poilues, le remerciant. Je me levai, chantant une petite chanson de joie de "La vie est belle", puis je marchai vers la direction demandée. L'homme-taureau fit demi-tour :

    « Tu peux continuer à faire comme si j'avais réellement disparu. Protège mon existence.

    — Aeglos, murmurai-je en me retournant. Merci encore pour ton aide. Je me souviens maintenant de tes grands exploits. Tu étais un fort grand guerrier, généreux avec la pauvreté. Tu étais celui que j'admirais depuis enfant. Grâce à toi, je suis devenu médecin. Tu te battais pour te protéger et ainsi ceux que... tu aimais.

        Il baissa la tête.

    — Ceux que j'aimais... Oui. Je les aime encore, même s'ils ont disparu de nos Mondes.

    — Je leur souhaite une grande paix à tes amis, Aeglos.»

           Il sourit puis partit. Je me retournai vers la pancarte. Je vis des traces de pas de deux personnes sur la neige. « Je ne suis pas seul », pensai-je. Je continuai ma route, espérant  rencontrer la jeune fille avant le lever du soleil.

    **

    Voix off :  

        « Comment t'appelles-tu ? Moi, mon nom c'est Aldaron, il signifie "seigneur des arbres", et je suis fier d'avoir ce prénom ! »

    Risia :  

            Nous arrivâmes devant une petite maison. Elle était ronde comme un ballon noir. Je m'étonnai, bouche ouverte. Aldaron observait autour, puis croisait les bras, et me dit par la pensée : « Ce n'est que la cinquième fois je vois ça. C'est plutôt rare. Mais où est donc l'entrée ?». Je m'approchai de lui timidement, avec mon grand manteau en fourrure, puis lui dis  : 

    « Ce n'est peut-être pas le "Repos". 

    — Si, c'est cette auberge, Risia. Je suis sûr. Ça paraît bizarre, mais...»

            Il posa un doigt sur la forme ronde géante. Celle-ci ne réagissait pas. Il fronça les sourcils puis sursauta. Un morceau s'envola et disparut. Une petite ouverture s'ouvrit. Il observa sans s'en approcher. Il entra un pied prudemment, et disparut. Je restais sur place, attendant un signe. La tête d'Aldaron apparut : « Tout va bien. Tu ne viens pas ?». Curieuse, je me précipitai et entrai à mon tour dans le trou. C'était le noir total. Soudain, il y eut un tremblement de terre. Je m'affolai. Une main tenait mes épaules et je sentis le torse d'Aldaron contre mon dos. Mais cela ne dura que quelques minutes. Une lumière jaillit. Je mis ma main sur mes yeux. Plus tard, j'aperçus un salon, plusieurs tables rondes en bois et un bar. Je regardai derrière moi. Il y avait un couloir interminable, avec des portes sur les côtés. J'avançais prudemment, je vis l'homme en vert discuter avec une personne qui portait un grand voile orange qui avait perdu sa couleur avec le temps :  

    « Pardon ? Plus de place pour le repos ? 

    — Désolé, on n'accepte plus personne maintenant ! s'exclama l'étranger. 

    — Nous avons absolument besoin !  

    — Dehors, vilains !  

    — Comment osez-vous résister contre moi, Aldaron, héritier du trône du Roi des arbres ?» s'exclama-t-il. 

          L'étranger se pétrifia, resta immobile longtemps, les yeux écarquillés et les mains blanches jointes. Aldaron sortit une bourse de sa sacoche et la lança dans les mains avides de l'étranger. Celui-ci observa l'intérieur de la bourse, et s'étonna. « Les pièces Kistug !».

    « Veuillez pardonner, ma majesté !, s'inclinait-il, inquiet.  Nous ferons tout notre possible. Combien de personnes, s'il vous plaît ?  

    — Deux. »

             L'étranger se précipita vers le bar, content, et présenta la bourse à une petite fille blonde qui s'excitait. Elle lui ordonna quelque chose, le responsable de l'auberge lui obéit aveuglément, peureux. J'observais toujours les personnes qui étaient autour de moi : des hommes robustes, barbus et aussi petits que moi, des hommes semblables à Aldaron qui rigolaient ensemble dans une langue étrangère, une femme rousse à la peau violette qui tenait une guitare et qui observait le tableau d'un paysage. Aldaron passa devant moi. Il s'assit sur une chaise. Je le suivais toujours. Il me regarda « Oui ?». Je lui demandai ce qu'on faisait. Il répondit qu'on attendait nos chambres. Acquiesçant, je fis demi-tour, laissant Aldaron seul à observer la plume du géant aigle noir que j'avais gardée.  

           Je vis des escaliers en verre. Curieuse, je montai. J'arrivai devant une porte où une pancarte affichait "Interdit aux Humains." Une petite fille blonde, avec une peau mâte sombre, apparut. C'était celle que j'avais vue près du bar.

    « Qui ?

         Je reculai doucement, lui souriant. Elle clignait des grands yeux, comme une poupée en porcelaine. Elle portait une robe décolorée.

    — Tu as vu mon aigle ? me demanda-t-elle.

        Je ne comprenais pas sa première phrase, mais lorsqu'elle la répéta, je me souvins du grand aigle noir qui nous avait pris par surprise.

    — Un aigle géant ?

    — Oui, c'est mon bébé.

    — Ah... euh... oui...

    — Qui ?

    — Pardon ?

    — Ta maison ?

    — Je ne suis pas née chez vous.»

          Elle poussa un large sourire. Elle m'observa de haut en bas puis semblait murmurer : « Je t'ai trouvé stupide Elue.» Je me demandai si elle avait une jolie voix, car physiquement elle faisait assez peur. Je poussai la porte interdite aux humains lentement, par curiosité., sans la quitter du regard. La salle était vide. La petite me salua. Puis la porte se referma derrière moi avec un bruit violent. J'enlevai mon manteau car je commençais à avoir chaud. J'avançai, observant les murs noirs de la pièce. Sachant que je n'avais rien à faire ici, je décidai de sortir de la salle, laissant le gros manteau par terre. Mais quand je posai mes deux mains sur la poignée de la porte, je sentis la serrure se bloquer. J'essayai de l'ouvrir plusieurs fois, avec toutes mes forces, mais en vain. Je m’assis, dos contre la porte et j'attendis. Un animal apparut devant moi. L'écureuil blanc. Il me regardait tristement. « Les Humains sont tout le temps tristes. Nous ne les aimons pas. Nous les haïssons. Ils nous haïssent. Nos Mondes ne s'entendront jamais.». Je me levai. L'écureuil grandissait. « Nous les haïssons. Nous ne pouvons pas leur permettre de reprendre une fois de plus notre liberté !». Je reculai, il me dépassait. Je lui disais que même mes semblables ne m'aimaient pas. Mais il ne m'écoutait pas cet étrange écureuil. Il s'arrêta de grandir. « Plus aucun humain ne mettra les pieds ici. Comment oses-tu te lier d'amitié avec notre Seigneur des Arbres ? Va-t-en ! Pour ta vie !». Je lui répondis en criant, que c'était lui qui était venu me sauver. « Il aime trop les Humains, il les pardonne trop facilement ! Il n'a jamais connu entièrement cette Guerre de l'Empire Perdu !». Je ne pouvais plus reculer. Il ouvrit sa gueule, de la salive coulait et quelques gouttes tombaient devant moi. Il avait des dents pointues et une haleine terrifiante. Je ne pouvais plus m'échapper. 

    ** 

    Voix off :  

           Cet Ange. Ma soeur Alisa. 

           Elle ne peut plus rien faire. Elle essaie de tout faire pour que la prophétie se réalise, mais celle-ci semble se briser au fur et à mesure. Celle qui devrait être l'élue et la dirigeante de la prochaine Guerre est Risia. Un Ange n'a pas le droit d'aider qui que soit. Ni les Sages, dont je fais partie. 

           Chaque fois que cette fille brune se sent menacée, un espoir tombe. Mais il renaît un autre espoir grâce au futur Seigneur des arbres. La prophétie semble se briser pour renaître en une nouvelle prophétie. 

           Le Monde des Humains semble disparaître. Le Monde des Cieux semble s'écrouler. Le Troisième Monde, qui n'a pas encore de nom, semble tomber dans le chaos. 

    ** 

    Risia :  

            L'écureuil pointait les dents vers moi. Je savais que je devais disparaître un jour ou l'autre. Je ne pouvais plus vivre dans aucun Monde. Je retombais dans le désespoir. Personne ne m'aimait. L'écureuil montrait la vérité. J'étais inutile. Je m'agenouillai. La pointe d'une dent de l'écureuil toucha mon cou et il s'immobilisa. J'ouvris des yeux angoissés. L'animal blanc reprit sa taille d'origine, les yeux plein de tristesse et de regret. Je me retrouvai dans les bras d'Aldaron. Il était très en colère, ses oreilles pointues pointaient vers le bas. « Ne t'avise plus jamais à lui faire ça ! Ou j'ordonnerai de te trancher la tête.» Cet animal étrange se mit à quatre pattes et s'enfuit. Aldaron me secoua légèrement. Je le regardai, triste et effrayée. Il me sourit, me disant que tout allait bien, que les Humains étaient très aimés dans ce Monde. Mais je ne comprenais rien. Pourquoi l'écureuil avait-il essayé de me tuer ? Je me levai. Je secouai ma tête, me demandant pourquoi je m'enfonçais dans le désespoir. Je levai ma tête. Puis je vis une étincelle au fond de la salle où il faisait sombre. L'homme en vert me suivit et me bloqua la route : « Partons. La curiosité est un vilain défaut.» Je le bousculai. Je me baissai, je vis une montre en argent abîmée. Il y avait une ligne rouge. Je suivis le chemin de mes yeux et j'arrivai en face d'une écriture faite à la hâte sur le mur en bois. Je suivis la ligne, et je lus « Aidez-moi». Une écriture qui a été faite à partir du sang. Et un homme était assis, dos contre le mur, assassiné, avec une lettre signée.

    **

    Risia :  

          Plusieurs instants plus tard, je tournais en rond dans ma chambre d'auberge. Aldaron était dans une autre chambre en face de la mienne. Ma chambre comportait un lavabo et des toilettes dans un coin de la pièce, un lit pour une personne, couvert d'une couverture rose à carreaux noirs. Le sol et les murs étaient en bois. Je me demandais comment l'auteur de la lettre me connaissait car je ne l'avais jamais rencontré. Ou peut-être ne s'adressait-il tout simplement à une autre personne. "Mademoiselle Risia Joyeux, vous devez fuir. Ne restez pas dans ce Monde et  ne parlez à aucune créature". Mon nom n'était pas JOYEUX, mais POVFIY. Au moment où j'allais m'asseoir sur le lit, je sentis quelqu'un frapper à la porte. Je me levai puis je partis ouvrir la porte en bois. C'était Aldaron. Il entra sans que je l'ai invité et s'approcha de la fenêtre.

            J'aperçus le responsable de l'auberge, se promener dans le couloir. Il passa à côté de moi. Il atteignit l'autre bout du couloir. Visiblement, il m'ignorait comme tous les autres étrangers. Puis il prit une autre direction, et je vis son bras tomber derrière le mur. S'était-il allongé ? Pourquoi ? Puis sortit de l'autre couloir une personne au voile noir. Je le vis tendre sa main portant une arme, qui semblait momifiée. Tout à coup, dans ma mémoire, je me suis souvenu de l'avoir déjà vu, lorsque j'avais deux ans, faire la même chose mais vers la figure de mon père. C'était le lendemain de mon anniversaire. Terrifiée par ce souvenir, je fermai violemment la porte, si fort qu'elle semblait se briser. L'homme en vert, qui scrutait les environs par la fenêtre, se retourna en fronçant les sourcils. Il s'approcha de moi et me demanda ce que j'avais. Je lui répondis que je m'étais juste souvenu de quelque chose de terrifiant. Il sourit pour me rassurer. Je courus vers un coin, toujours terrifiée, emportée par des étourdissements.

            « As-tu un souhait ?», me demanda-t-il, plus tard, par la pensée. Accroupie, je me retournai et observai Aldaron. Il partit s'asseoir sur mon lit. Ma robe, qui était déjà lavée, se frotta contre le mur et la manche se déchira. Aldaron se leva : « Mince alors. Je vais chercher une couturière.» Je lui criai d'attendre. Il se retourna. Il avait sa main droite sur la poignée de la porte. Il la lâcha.« As-tu vraiment un souhait ?», me demanda-t-il une nouvelle fois. J'acquiesçais. « Quel est ton souhait ?». Entendre. Je voudrais entendre comme tout le monde. J'aimerais pouvoir entendre le chant des oiseaux, les belles mélodies d'un instrument musical, le rire et les pleurs des gens... Les aboiements de mon chien Paul. J'aurais aimé entendre tout cela. Devenir entendante et être aimée, voilà mon grand souhait et l'objectif de ma vie.

    **

     Une lettre :  

          "Aujourd'hui, dans le calendrier elfique, nous sommes en 7016. Nous étions 1000 ans avant la naissance de Risia et avant que La Guerre de l'Empire Perdu ait éclaté. Un Troisième Monde est né pour le besoin des victimes de cette Guerre de 800 AE. La création de ce Troisième Monde était faite par une redoutable guerrière au bras d'acier, surnommée la Guerrière Soleil. Son armure était en or, sa magie provenait de la source d'énergie du soleil. Son cri de guerre impressionnait ses adversaires, ses cheveux tels que des flammes les terrifiaient. Ses yeux ambrés de félin perçaient le regard des autres. Ses lèvres, son visage et sa taille fine et robuste charmaient les jeunes guerriers. Sa peau blanche marquait le nouvel espoir des malheureux. C'était une femme d'une beauté incroyable, telle une déesse, d'un courage surprenant et d'une force inimaginable qui avait mis fin à cette guerre. Mais elle fut assassinée par son fiancé 10 ans après la fin de la guerre. Celui-ci fut amené à la pendaison, sous le regard de haine de ses proches et celui de Sedah. Cette guerrière fut devenue une légende. Son collier d'ambre noir fut transmis de mère en fille, chez les Rois des Arbres, de génération en génération.

            Mais aujourd'hui, ce collier est brisé. Ce collier renfermait le pouvoir des flammes de l'enfer, la haine de l'Empire Perdu. Cet Empire est un empire qui a existé des milliers d'années, sans qu'on connaisse son origine. Il cherchait toujours à se battre et sombrer les deux Mondes dans le chaos pour aucune raison. Maintenant, il est revenu. Le Ciel se mit à la recherche d'une nouvelle guerrière semblable à la Guerrière Soleil. Ils l'ont trouvée 1000 ans plus tard, elle s'appelait Risia. Mais elle n'était pas celle qu'ils espéraient. Elle était sourde et faible malgré les pouvoirs en elle. Après 1000 ans de combat ! Il existait dans le Monde des Cieux un Conseil réunissant les Sages, ceux qui prédisaient l'avenir et citaient les prophéties des Trois Mondes. Mais la prophétie de retrouver la Guerrière Soleil était sur le point de se briser. Ils doivent tout de même à tout prix la choisir. Pour l'aider à surmonter son handicap, ils ont incrusté la vie du chien, nommé Paul chez les Humains, et également celui d'un chat, dans le corps de Risia, afin qu'elle ait l'odorat, l'agilité, l'endurance et la vue plus développés. Mais ils ne sont pas les seuls à la choisir comme Guerrière. L'Empire Perdu était également à la recherche de sa vie."

    Signé Celeborn, "Arbre d'Argent" et frère d'Ossë, fiancé de la Guerrière Soleil.

    **

    Risia : 

    « Tu veux entendre...»

            Après une brève explication de mon souhait, Aldaron sortit la plume noire de l'Aigle de sa poche et me la tendit. « C'est avec ça que ton souhait se réalisera. Je sais, cela te semble bizarre ». Il la mit dans ma main et fit serrer mon poing. « C'est aussi un signe d'amitié. Pour dire que tu acceptes d'être avec la personne.» Il inspira, puis expira longtemps. Il m'affirma qu'il voulait juste essayer un sort lu dans un livre. Que c'était possible de le faire avec une plume d'un aigle géant et une parole interdite. Il ferma les yeux. « Je souhaite de tout mon cœur que Risia entende.». L'elfe avait toujours ses yeux fermés. « Risia, n'aie pas peur.» Je me demandai ce qu'il voulait faire. Soudain, je sentis une terrible douleur aux oreilles. Je criai et plaquai mes mains sur mes oreilles. L'elfe pâlit et plaqua à son tour ses mains sur les siennes. Il s'agenouilla et quelques larmes tombèrent sur le parquet. Je tortillai sur moi-même sur le sol, je frappai le sol tellement je souffrais, je criai sans cesse, je pleurai. Je ne fis plus attention à ce qui m'entourait. Puis, quelques instants plus tard, j'entendis un bruit, la douleur s'estompa. Un sifflement. Je regardai par la fenêtre. Un oiseau bleu et orange se tenait sur une branche d'arbre morte. Son bec était ouvert. Le sifflement provenait de son chant. Je m'approchais. J'entendis le claquement de chaque pas sur le bois. L'oiseau s'envola. J'entendis les battements de ses ailes.  Le souffle d'un vent. Les cris dehors. Le crissement des branches. Les rideaux qui suivaient le mouvement du vent glacial. Le souffle fatigué d'un homme. Le souffle fatigué d'Aldaron. Je me retournai vivement et l'appelai heureuse, en le remerciant. Mais il ne réagissait pas. Inquiète, je courus vers lui et mis mes mains sur ses épaules. Il sursauta et se retourna précipitamment, tendu. En croisant mon regard inquiet et joyeux à la fois, il se détendit et sourit. Je lui demandai ce qu'il avait fait. Ses sourcils se froncèrent. Il ne me comprenait pas. Je compris tout de suite la situation Surprise, je le secouai en colère, lui demandant pourquoi m'avait-il donné son audition, alors qu'on se connaissait à peine depuis 2 jours. Il ne comprenait rien. Il était perdu. Il n'arrivait plus à parler, ses lèvres tremblaient, même s'il esquissait un faible sourire. Je me rendis compte que je parlais sans hésiter et sans réfléchir. Nous avons échangé nos auditions. L'aube arrivait déjà, je n'ai dormi que la moitié de la nuit. Je suis devenue entendante, il est devenu sourd.

    **

    Risia : 

            Je n'ai jamais voulu donner mon handicap à Aldaron. Il l'a choisi, maintenant, il est condamné à souffrir. J'entendais des milliers de sons, se mélangeant tous dans ma tête perdue. Je tournais en rond, je voulais chasser les sons qui vibraient dans mes oreilles. Je bouchais mes oreilles avec mes index, mais je les entendais toujours. Je me mis de nouveau à pleurer. J'entendais mes larmes toucher le sol avec un bruit sourd, mon souffle fatigué, mes gémissements. J'entendais Aldaron m'appeler. Je me retournai, il me tendit la main. Je le regardai méchamment. Je repoussai sa main avec colère. Puis je n'entendis plus rien. Surprise, je regardai à nouveau Aldaron : « Alors, c'était comment ? Désolé pour tout cela, je voulais juste te faire plaisir. Je voulais essayer, parce que ça n'avait pas fonctionné la première fois. Ça ne dure que quelques secondes ». Il se mit à rire doucement, se rendant compte de la bêtise qu'il avait fait : « Maintenant, je connais les limites de ma curiosité...».

           Je me mis à pleurer à nouveau, essuyant mes larmes avec la manche de ma robe, soulagée que cet événement ne dure pas éternellement. Il s'approcha de moi et mit ses mains sur mes épaules. Lorsque je finis de pleurer, l'homme en vert partit en refermant la porte en bois derrière lui. Je courus vers la sortie, lui demandant d'attendre encore un moment, j'ouvris la porte et je croisai l'homme au voile noir. Je ne voyais pas son visage à cause de sa capuche. Mais je vis son sourire. Il souriait de toutes ses dents, d'un sourire sadique et horrible. Je vis Aldaron allongé par terre derrière lui, inconscient. Je reculai effrayée jusqu'à la fenêtre. L'étranger tendit sa main momifiée vers moi, avançant petit à petit. « La petite maigrichonne t'a trouvée !», semblait-il dire, vu la liaison de ses lèvres et les vibrations lourdes de l'air. Sa main toucha mon front, elle était râpeuse et humide. Je la repoussai violemment et mis mon pied sur le rebord de la fenêtre. Je m'arrêtai. Son sourire me faisait peur. L'étranger tirait doucement sur ma robe. Je le retirai de toutes mes forces, jusqu'à la déchirer. Je tombai en arrière. Je remarquai que je ne touchais pas le sol, mais que je tombais d'une falaise. Je tombai silencieusement dans le vide, mes mains tendues vers le haut, comme pour essayer de m'accrocher aux nuages.  Je vis défiler une douzaine de fenêtre incrustées dans la falaise. L'auberge disparut sous mes yeux. Je tombais longtemps. Éternellement. Tout à coup, une voix m'interpella :« Regarde en bas. Tombe sur tes deux jambes comme le ferait un chat sur ses quatre pattes.» Je regardai vers le bas. Une vue de sol enneigé apparut. Je positionnai mes jambes sans hésiter vers le sol malgré ma peur grandiose de me briser les membres inférieurs.

            J'atterris. Je ne sentis aucune douleur dans mes jambes, j'ai atterri comme dans un petit saut, ma robe volait autour de moi au point de me déshabiller, mes fesses portant une culotte blanche usée avec le temps, étaient à découvert. Émerveillée par cette agilité incroyable, je m'observai, me demandant comment ai-je pu devenir comme ça. Je sentis une odeur âcre. Un point noir apparut en face de moi dans ce paysage enneigé. Il devenait de plus en plus gros, et je le reconnus : l'homme au voile noir. Sa cape volait telles des ailes de corbeau. Ses mains saignaient du sang noir. Quelle horreur ! Que me voulait-il ? Et comment a-t-il fait pour se déplacer aussi rapidement ? Il souriait encore. Ses yeux flamboyaient. Son visage était comme une ombre. « Je t'ai cherchée partout, future Guerrière Soleil...», entendis-je dans ma tête. Je me mis à courir mais je me retrouvai devant la paroi. Ce monstre s'approchait. « La maigrichonne avait une bonne idée de chasser le responsable de l'auberge. Vous êtes complètement tombés dans notre piège ». Soudain, quelque chose atterrit devant moi lourdement et poussa un cri strident. L'étranger mit ses mains horribles sur chaque côté de sa tête et fit des mouvements agités. Il disparut comme un pétard. La chose qui était tombée devant moi était l'écureuil blanc géant. Je vis une jambe sur son dos : Aldaron. Il rangea son arc et tint sa sacoche pour descendre. Il courut vers moi, me tapotant le visage, me demandant si je m'étais blessée. Je lui répondis que j'allais très bien mais que j'avais découvert que j'avais une agilité incroyable. Il n'en croyait pas ses yeux. « Ce monstre est un serviteur de l'Empire Perdu. Lui, l'écureuil blanc, c'est Eöl, un des serviteurs des cieux et Maître des écureuils. Viens. On n'a pas le temps.» Il monta sur le dos de Eöl qui s'était baissé. Il me tendit la main. Je fusillai des yeux l'écureuil. « N'ayez pas peur, Elue.». Je pris sa main et me mis devant lui. Je tenais fermement les poils blancs afin de ne pas tomber.

            Eöl se mit à courir. Nous traversâmes le grand Désert blanc, nous échappâmes aux étrangers qui voulaient ma vie. Je vis Aldaron mettre sa main mainte fois sur son front. Je lui demandai s'il avait mal à la tête. « Je ne sais pas, mais j'ai des hallucinations depuis que ce serviteur m'a donné un coup sur la tête. Ne t'inquiète pas, j'ai ce qu'il faut pour me soigner.», me répondit-il. Pendant le trajet, je demandai à Aldaron pourquoi avais-je changé, pourquoi des serviteurs de Machin me cherchaient-ils, pourquoi m'appelait-il "Elue" ou encore "Future Guerrière Soleil"? Il me répondit d'attendre la fin du trajet. La nuit tomba, nous nous logeâmes devant un géant sapin bleu. Eöl reprit sa taille d'origine. Il gratta le sol et s'enfonça dedans en boule. Aldaron, surnommé "futur héritier du trône d'un des Rois des arbres", sortit de sa sacoche par magie une grande couverture. « Tu vas bien ? ». Je hochai. Il me la donna. Je m'enroulai dedans et me mis à dormir. Mais avant de plonger dans un sommeil profond, je lui demandai pourquoi avait-il échangé son audition avec moi. « Pour voir ce que c'était d'être sourd et toi pour voir ce que c'était d'être entendante.» Puis il y eut un moment de silence, Eöl dormait paisiblement. « Il se met encore à ronfler, celui-là ! On n'est pas tranquille !», se plaignait Aldaron. J'enfonçai ma tête en souriant sous la couverture. L'homme en vert scruta les environs toute la nuit et sortit des remèdes pour se soigner.

    **

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